Les vrais amateurs de cabrette sont comme
les vrais amateurs de chocolat : ils préfèrent déguster pur
pour mieux apprécier toutes les subtilités. Et ici les
conditions sont particulièrement bonnes puisque dès les
premières secondes la qualité de la prise de son saute aux
oreilles : l'instrument est vraiment présent et les nuances
de jeu parfaitement audibles.
La première question est, naturellement, comment pourrait-on
qualifier le style de Cédric Bachèlerie ? Et je pense que
finalement ce qui le qualifie le mieux c'est l'absence de
tout systématisme...Selon le type de mélodie, voire selon le
style de phrase, les mêmes notes seront plus ou moins
vibrées ou droites. Ainsi si sur un regret il montre la
qualité et la souplesse de ses vibrés, sur des airs plus
rapide les vibrés sont bien plus discrets voir même absents
sur des finales de phrases et cela passe parfaitement (1).
Les trilles de la main supérieure sont un peu plus présents
et il ne craint pas les attaques glissées (voire un peu
beaucoup sur Ai vist lo loup...). Quant aux picotages, il
les maîtrise fort bien et en use avec parcimonie mais placés
à bon escient pour relancer l'attention, leur réservant les
rappels à la fondamentale (comme dirait un ami joueur de
16 pouces : au moins un cabrettaïre qui ne joue pas en
morse...). Et tout cela est agencé de manière à
ménager un jeu ou chaque reprise apporte ses particularités,
ses petites surprises : tout l'intérêt d'un jeu traditionnel
et particulièrement à la cabrette.
Le répertoire provient en majeure partie du Livradois
(région autour et au sud de Thiers, entre Puy-de-Dôme et
Haute-Loire, un pays bien moins réputé pour ses cabrettaïres
que ceux des monts d'Auvergne et alentours. D'ailleurs
nombre des transmetteurs de ces mélodies sont des
accordéonistes, chanteurs, vielleux, clarinettiste et...
curé. Ceci nous vaut un répertoire assez original, et si on
y retrouve quelques standards, ce sont dans des versions
différentes, voire bien différentes... (2)
Le livret est encore plus détaillé que d'habitude chez AEPEM
et nous avons droit à maintes petite biographies, non
seulement des collectés mais également des collecteurs, ce
qui permet de mettre en avant un "cercle" de musiciens pas
vraiment du revival des années 70, parfois antérieurs,
davantage impliqués dans les milieux folkloriques mais tout
aussi passionnés par l'instrument et le répertoire.
Et je ne le précise pas pour chaque opus de cette collection
mais à l'heure ou nombre de photographes croient faire du
noir et blanc juste en enlevant les couleurs de leurs photos
(voire pire en ne se décidant pas entre la version couleur
et la version noir et blanc d'un même cliché), cela fait du
bien de voir ces beaux portraits en vrai noir et blanc pensé
et travaillé dus à Patrick Auberger....
(1) alors que cela me manque souvent, même à l'écoute de
certains cabrettaïres réputés
(2) je m'étonne d'ailleurs que le lien ne soit pas
fait dans le livret entre la "bourrée de Léon Lestrade" et
la bourrée à Ribeyrolle (bien connue notamment par sa
version qui ouvrait le 33t de Café Charbon), la première
semblant une variation sur cette dernière avec ajout d'une
partie.
Un nouvel album de cette collection "Roulez
jeunesse !" d'AEPEM destinée à mettre en lumière de
jeunes musiciens : c'est ici une bonne chose pour l'acheteur
car cette collection est proposée à un prix un peu moindre,
mais ce duo certes jeune a déjà bien commencé à faire ses
preuves
(vainqueur du concours
des petites formations au Son Continu 2022)
et, surtout, tous deux font montre d'une remarquable
maturité musicale qui les place d'emblée au niveau de nos
musiciens confirmés...
Je dois régulièrement écrire qu'il ne faut pas se fier
à la première plage d'un album pour en juger car, désireux
d'en mettre plein la vue, les groupes placent souvent en
tête une mélodie maquillée comme une voiture volée... Mais
ici, au contraire, cette première plage montre que notre
duo, avec cette maturité dont je viens de faire mention, et
peut-être également grâce à l'appui de leur conseiller
musical (1) Alain Cadeillan, sait s'affirmer tout en
douceur. C'est à la voix que débute Anaïs Perrinel, ce qui
nous évitera d'emblée de les considérer uniquement comme un
duo violon-boha. Une voix qui semble faite pour chanter en
occitan et, c'est là où c'est encore plus intéressant, une
voix qui est tout aussi expressive lorsqu'elle passe en
français, alors que souvent le français apparaît plat
lorsqu'il succède ainsi à l'occitan. Cela tient aux belles
inflexions d'Anaïs, inflexions que l'on retrouve dans son
jeu de violon, expressif sans jamais tendre vers l'excès et
très inspiré dans les arrangements, notamment dans ces
accompagnements aussi discrets qu'efficaces, façon presque
violoncelle parfois.
Car tous deux ont bien compris le fonctionnement d'un duo et
ils ne jouent pas souvent à l'unisson, voire même simplement
en voix plus ou moins homorythmiques : non, même si leurs
instruments sont principalement mélodiques, lorsque l'un
prend la mélodie, le second passe quasiment toujours en
accompagnement dans un registre bien différent ce qui donne
du relief à cette toute petite formation.
Mais je n'ai pas encore parlé de Naël Tripoli qui joue non
seulement fort bien de la boha avec un jeu tout à la fois
très précis et ornementé
(2) mais également du
diatonique avec une dextérité qui n'a rien à envier à
certains chromatiques et à l'écoute des bourrées d'Auvergne
et Limousin je sens un côté un peu rebondissant qui me
laisse penser qu'il a du tâter aussi du répertoire basque...
Il semble préférer le diatonique pour les mélodies qui
nécessitent davantage de pêche et n'hésite pas à tenir des
bourdons sur sa boha pour accompagner le chant
Chaque plage mériterait d'être décrite individuellement mais
je me contenterai de citer :
- le "branle en couple" qui rappellera de bons souvenirs à
pas mal d'entre vous car c'est une reprise d'un arrangement
de Perlinpinpin que l'on retrouve avec plaisir; reprise très
fidèle avec juste ce qu'il faut de petites originalités pour
justifier ce nouvel enregistrement
(en soulignant qu'ils
l'assurent à deux seulement, même s'il me semble que le
violon est sur deux pistes),
- la valse à Tarrit qui clôt l'album
(3), valse
musette qui vient s'il en était encore besoin confirmer
qu'au sein de ce duo gascon, Anaïs maîtrise aussi
parfaitement la chanson française et Naël le diato musette.
Un album "Roulez jeunesse" donc, mais que vous risquez de
garder longtemps dans votre discothèque où il devrait très
bien vieillir...
(1) c'est mieux que "coach" non ? Pour notre plaisir il
prend également sa boha sur l'une des plages mais
tellement en phase avec Naël que ne serait-ce les accords,
sa participation passerait presque inaperçue.
(2) et l'on a pu voir son stand de facteur de boha
au Son Continu 2024
(3) associée à l'une des deux compositions de l'album
http://www.aepem.com