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Jean-Luc Matte

Les chroniques CD écrites pour Trad. Magazine
(4/20 : Coffret bodega : chronique et interview)

De 1991 à 2009, j'ai rédigé diverses chroniques dans le revue Trad. Magazine que cette revue m'a autorisé à vous mettre en ligne. Les date de parution sont citées, mais ces textes ont été écrits au minimum deux mois auparavant et parfois jusqu'à plus d'un an...

Tout ceci était indépendant des chroniques que j'ai rédigé pour mes infosmumuses, mais pour cette mise en ligne, je ne me prive pas de mettre des renvois des unes vers les autres .... 


BODEGA, BODEGAIRES !
Anthologie de la cornemuse du Haut-Languedoc

 

Durée : 71'07 + 72'01 + 67'03
CLRMDT/ Abeille musique
Bravos Trad. Magazine

J'ai attendu la présent numéro pour vous présenter cette chronique afin d'éviter les redites entre l'interview de L. Charles-Dominique et celle-ci. Je vous conseille donc de vous reporter d'abord à cet article pour tout savoir des intentions et de la genèse de ce triple CD qui constitue indéniablement un petit événement dans l'actualité cornemusicale. Mais qu'en est-il du résultat ? Il faut, naturellement traiter à part le premier CD (sources) qui faute d'enregistrements anciens connus, laisse à l'auditeur le soin d'imaginer ce que cela était en croisant les collectages de chanteurs et de musiciens ayant pratiqué dans l'entourage de la bodega ainsi que les premiers essais de reconstitution par Charles Alexandre. L'exercice est loin d'être facile et l'auditeur non bodegaire risque d'oublier rapidement cette intention pour écouter, plus simplement, un très intéressant disque de collectage de la région en question. Je regrette un peu d'ailleurs que l'on ne perçoive que peu de liens, dans le répertoire, entre ce premier CD et les deux suivants : il aurait été intéressant de comparer les sources et des reprises actuelles de ces thèmes. Mais cela laisse aux bodegaires un CD complet de répertoire à réinterpréter hors de toute influence d'une reprise actuelle.

Les deux longs CD suivants laissent la "parole" aux praticiens actuels de l'instrument et, naturellement, les styles et les niveaux diffèrent d'une plage à l'autre. Les porteurs du projet auraient très bien pu faire un tri plus sévère et ne garder que les plages les meilleures de façon à offrir en un seul CD une vision plus "haut de gamme" de l'instrument mais cela aurait été contraire à l'esprit de la démarche et je pense qu'ils ont eu raison de préserver cette image plus fidèle de la situation actuelle (quitte à nous faire entendre une ou deux plages un peu limites…). De même, les plages prises sur le vif lors du carnaval de Limoux sont loin de présenter la qualité d'une prise de son de studio, mais elles replacent parfaitement l'instrument dans ce qu'il se doit de demeurer : un acteur de la fête de rue plutôt qu'un instrument de concert pour spectateurs assis sur des chaises dorées et ceux qui étaient présent au bal de Montanha Negra à St-Chartier retrouveront avec plaisir le balancement bien particulier des airs de Fecas (et même si ce répertoire n'est pas issu de la zone d'extension connue de l'instrument). S'il est un point qui souligne la vivacité de la pratique, c'est bien la diversité des styles musicaux et des ensembles : du solo traditionnel à la banda plus ou moins importante, en passant par l'orchestre de bal, le duo, le petit ensemble jazz presque free etc… Le tout avec ou sans partie chantée. Quant à Xavier de La Torre, il se démarque par l'influence du modèle breton tant façon bagad que façon couple, quitte à transformer l'instrument…

Un dernier mot sur le livret qui, à lui seul, mérite l'acquisition de ce coffret (malgré une ou deux coquilles dans la description des plages) : on reconnaît la patte de la Talvera dans ce véritable petit livre qui commence par prendre le temps de replacer la pratique ancienne dans son contexte géographique économique et social avant de passer à des aspects plus organologiques et musicaux.

Jean-Luc Matte (paru dans le n°99 de janv-fevrier 2005)


Triple CD bodega : la partie émergée de l'iceberg

Interview de Luc Charles-Dominique par Jean-Luc Matte

 

Parmi ses multiples actions, le Centre Languedoc-Roussillon des Musiques et Danses Traditionnelles (CLRMDT), dont Luc Charles-Dominique est le directeur, soutient particulièrement la pratique de deux instruments : le hautbois du Languedoc et la bodega, un hautbois et une cornemuse traditionnellement présents sur des aires de jeu différentes (1). La sortie en juillet dernier d'un triple CD sur la bodega est un événement qui a permis de faire connaître l'action en faveur de cette imposante cornemuse, mais ce n'est que la partie visible du travail réalisé en faveur de la connaissance et la pratique de celle-ci.

 

Comment a démarré ce projet ?

Au départ se trouve Frank Simoneau de l'ADDMD de l'Aude et le projet "Audenca" ("Aude" en occitan) qui était un itinéraire départemental autour de la musique et de la danse traditionnelle mis en place par le CLRMDT. En juin 2002 s'est tenue, dans ce cadre, une semaine de la bodega avec notamment une table ronde autour de la question "Comment assurer le développement de la bodega aujourd'hui, son enseignement et sa facture ?".

 

Afin de comprendre la contexte de ce thème de débat, peux-tu rappeler la situation actuelle de l'instrument ?

Pendant de nombreuses années, une quinzaine des musiciens seulement jouaient régulièrement de la bodega, au sein de la Talvera, du Conservatoire Occitan ou de façon plus ou moins isolée. Les personnes potentiellement intéressées se heurtaient alors à des problèmes de facture d'instrument, d'anches, de répertoire. La discographie disponible restait restreinte et essentiellement sur vinyls.

Aujourd'hui, environ soixante-dix musiciens sont recensés dont une bonne trentaine sont en apprentissage. Ce frémissement, nous le ressentons, par exemple, avec la création à Conques-sur-Orbiel (Aude) d'une classe de bodega par Sophie Jacques de Dixmude. Elle a également ouvert un atelier à Hautpoul.(à côté de Mazamet, 81).

 

Quels sont été les résultats de cette table ronde ?

Tout d'abord il faut noter qu'une quinzaine de personnes y ont participé, musiciens ou facteurs mais également chercheurs et formateurs. Les thèmes qui en sont ressortis portaient sur l'enseignement, le répertoire, la facture, les publications. Il y a donc eu création d'un collectif, interrégional dans la mesure où l'aire de jeu traditionnelle de la bodega, qui n'est pas très grande, touche tout de même quatre départements et deux régions administratives (2)

Lors des secondes rencontres, à Hautpoul en 2002, nous étions 25 participants soit un tiers des musiciens recensés, élèves compris. Ces secondes rencontres nous ont permis de préciser les demandes et nous avons, par exemple, ajouté un volet sur la diffusion, c'est à dire le soutien aux artistes pratiquant la bodega. Notre projet est donc jeune puisqu'il n'a eu qu'un an et demi pour mûrir mais il a déjà des résultats concrets, comme ce triple CD, et d'autres en passe d'être réalisés rapidement.

 

C'est à dire ?

Du point de vue de la facture, vont être réalisés de manière imminente, les relevés précis des instruments anciens par un groupe transversal (multi-compétences : facteurs, ethnomusicologues…). Le but est, en particulier, de voir s'il se dégage des constantes entre ces 25 instruments anciens connus. On se posera ensuite la question de savoir s'il faut chercher à reconstituer un archétype, la tendance actuelle n'étant pas vraiment à l'uniformisation. La bande de bodega qui s'est produite à St-Chartier a d'ailleurs montré que les instruments de quatre facteurs différents, construits à partir de modèles différents, peuvent jouer ensemble de manière satisfaisante.

Pour ce qui concerne la confection des peaux et notamment le tannage, nous allons nous rapprocher des facteurs italiens de zampogna qui ont de l'expérience en la matière. C'est d'ailleurs un facteur de zampogna italien installé dans le Tarn, Antonio Lisera, qui confectionne actuellement la plupart des poches de bodega.

Nous avons également mis sur le papier un plan de promotion de l'instrument dont la journée bodega de St-Chartier 2004 était une étape. Nous allons initier également des rencontres autour de la formation : il y a par exemple sans doute besoin d'outils pédagogiques de type méthode.

 

Quel était l'idée de départ de ce triple CD ?

Nous avons voulu, dans cette première anthologie consacrée à l'instrument, aller des sources à la pratique actuelle. Les sources sont indirectes car nous ne possédons pas d'enregistrements anciens de bodega. Nous disposons par contre de collectages d'imitations vocales du jeu et du son de l'instrument, ou d'autres instruments jouant le répertorie de la bodega et de témoignages sur sa tradition.

En ce qui concerne la pratique actuelle, la matière est très importante puisque 23 bodegaires ont participé à l'enregistrement ainsi que 50 autres musiciens les accompagnant. Nous avons enregistré des solistes, des petits ensembles ou des bandes de bodegas, et ce dans tous les styles, du trad à l'électronique en passant par le jazz. Si ces musiciens sont essentiellement amateurs, on compte également un certain nombre de professionnels parmi eux et, de toute façon, les deux mondes sont assez fondus.

Il est important de noter que ce projet de CD a été très fédérateur : des groupes se sont créés et cela a notamment permis la constitution de la Grande Bande de bodegas qui a développé son style de jeu. Il y a eu un gros boulot des groupes entre la remise des propositions et l'enregistrement huit mois plus tard. Cette anthologie est, par ailleurs une coproduction du CLRMDT, du Conservatoire Occitan, de Cordae-La Talvera et l'ADDMD de l'Aude.

 

Comment se sont, concrètement, déroulés les enregistrements ?

Nous avons choisi de travailler avec un studio mobile de façon à aller au devant des musiciens, de décentraliser le projet. Quelques enregistrements ont même été réalisés en situation festive, notamment durant le carnaval de Limoux. Les enregistrements ont débuté le 5 mars et le coffret est sorti le 9 juillet, ce qui représente une belle performance côté délais. Comme je le disais, il y a eu un gros travail préalable des musiciens et cela nous a permis de tout faire en 5 ou 6 prises maximum par morceau.

 

Qui s'est chargé de la rédaction du gros livret qui accompagne ces trois CD ?

Daniel Loddo de la Talvera, qui est actuellement le spécialiste de l'histoire de l'instrument, s'est chargé des parties historiques et ethnographiques, j'ai rédigé l'introduction et nous avons travaillé tous les deux à la description des plages.

 

Ce triple Cd et son livret utilisent, je suppose, l'héritage laissé par Charles Alexandre…

Oui, nous avons placé, sur le CD consacré aux sources, des enregistrements de Charles Alexandre, notamment quelques inédits qu'il avait enregistrés au studio Junqué Oc lors de l'édition de son 45t et qui n'avaient pas été publiés. Il faut, bien entendu, préciser que Charles Alexandre était déjà un revivaliste et non un musicien issu de la tradition : la bodega sonne jusqu'en 1957 et il ne commence à collecter dans ce secteur qu'en 1965 (3), à une époque où quasiment personne ne s'intéresse à cela et où, surtout, il est le seul à y travailler de manière systématique, village par village. Il a rencontré des musiciens qui ne jouaient plus mais qui étaient encore en vie et a donc trouvé une matière encore fraîche. Dans les années 1960, certains collecteurs autour des Ballets Occitans de Toulouse vont s'intéresser à la bodega, puis La Talvera de son côté, commence ses collectes dans les années 70. Les recherches de Charles Alexandre constituent donc une charnière indispensable. C'était un amateur passionné, d'origine bretonne mais installé en Midi-Pyrénées à partir de 1960. Il a rassemblé une collection d'instruments et tout son fonds a été acquis, après son décès en 2001, par l'association la Talvera qui dispose ainsi d'un nombre important de documents à dépouiller : notes de terrain, mais également une très intéressante correspondance. Nous avons utilisé un certain nombre d'enregistrements issus de ses collectages dans le CD sur les sources, le restant ayant été fourni par les collectages de la Talvera.

Il faut également citer un autre collecteur décédé il y a quelques années : Jean Beaubois, de Carcassonne, qui a réalisé pas mal de dessins pour C. Alexandre.

 

La pratique de la bodega dépasse maintenant son aire de jeu traditionnelle…

Oui, elle est jouée sur une zone beaucoup plus vaste et on trouve pas mal de pratiquants en Gascogne, voire beaucoup plus loin. Les facteurs ont d'ailleurs actuellement une forte demande.

 

Est-il envisagé de réaliser des instruments d'étude comme il en existe pour les musettes du centre ?

Nous y songeons mais la question n'est pas tranchée. Nous avons par contre en projet, afin de répondre aux problèmes de prix et de délai que rencontrent les débutants, la création d'un parc instrumental (de 15 instruments dans un premier temps) qui seraient proposés en location aux nouveaux élèves. Ces instruments seraient anchés mais la peau serait à la charge des locataires, pour des raisons d'entretien et d'hygiène. Le financement fait appel à des crédits européens objectif II qui sont malheureusement bloqués actuellement.

 

D'autres objectifs en vue ?

Oui : l'édition d'un ouvrage collectif sur l'instrument, sous la direction de D. Loddo, avec, en particulier, la contribution de Xavier Vidal et la mienne.

 

(1) : c'est un autre type de hautbois, le graile, qui était joué sur la zone de la bodega, le hautbois du Languedoc ayant été pratiqué dans la région de Sète et notamment dans le contexte des joutes nautiques. retour

(2) : Aude, Hérault, Lot, et Tarn soit les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon retour

(3) il avait toutefois entendu sonner l'instrument au mariage de sa sœur à Villardonnel en 1949 alors qu'il n'avait que 16 ans. retour


Claude Romero à Autun 2005

Voir la présentation du double DVD et livret paru en 2010 :

Un film de Sophie Jacques réalisé par Stéphane Valentin "Bodega Buf de vida ! - La cornemuse du Languedoc"


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