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Jean-Luc Matte
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Allemagne(s) : Deux traditions de cornemuses

Voici un ensemble de deux articles paru dans le n°13 de Trad. magazine. N'ayant plus le fichier initial j'ai pris la peine de les retaper et je n'ai pu m'empêcher de corriger quelques termes issus de la première traduction qui me semblaient, à la relecture, soit lourds, soit imprécis (j'ai notamment remplacé "hautbois" par tuyau mélodique", ces deux cornemuses étant dotés d'anches simples et de tuyaux quasi-cylindriques. Pour le reste tout est d'époque.. (1989, avant le chute du mur, même si publié en 1990 seulement) et j'avais essayé de faire sérieusement mon travail d'interview et de traduction, même si je n'adhérais déjà pas forcément à tout ce qui était écrit (je n'ai toutefois pas pu m'empêcher de mettre une réserve dans l'introduction et une petite note n°2 à l'article de H.W. Dietl…)

Pour diverses raisons, les illustrations ne sont pas toujours celles des articles initiaux

 En rouge mes ajouts 2013


Allemagne(s) : Deux traditions de cornemuses
(articles recueillis et traduits par Jean-Luc Matte)

 

La vie cornemusicale allemande est peu connue en France, alors que l'intérêt de nos voisins de RFA pour les cornemuses et la musique traditionnelle française en général est grand (1). Aussi je me propose, à travers deux articles, de vous faire connaître, même sommairement, deux traditions de cornemuse : l'une en RDA et l'autre en RFA.

 

Ces deux articles ont été rédigés quelques temps avant l'ouverture des frontières de l'Europe de l'Est et la réunification de l'Allemagne n'était pas envisagée. Si leur contenu reste toujours exact, les modifications du contexte socio-politique se ressentent déjà : car si les relations entre les exilés d'Egerland et les Tchèques semblent nettement s'améliorer, les Sorabes, par contre sont aujourd'hui inquiets quant au devenir de leurs acquis actuels (enseignement en langue Sorabe, centres culturels Sorabes etc.) dans la nouvelle Allemagne.

Chacun de ces deux articles a été rédigé, à ma demande, par deux spécialistes de ces traditions avec lesquels je corresponds. Vous voudrez bien excuser la qualité de ces traductions (2), la langue de Goethe ne m'étant pas vraiment familière. J'ai complété chacun de ces articles par une pseudo-interview reconstituée à partir de ma correspondance avec H.W. Dietl et K. Tillich. Cette formule me permet de préciser certains points non explicités dans les articles proprement dits.

Voici donc deux textes complémentaires sur deux traditions distinctes, mais aussi deux auteurs, deux minorités, deux contextes socio-politiques, deux types de pratique actuelle, deux manières de considérer un héritage culturel, deux visions qu'il me semble intéressant de présenter. Il est bien entendu que je me contente de présenter ces textes traduits et que je laisse aux auteurs la responsabilité de leurs affirmations.

JL. Matte


Cornemuses en Sorabie


Karl Tillich et un de ses élèves (photo X. Droits réservés)

Les Sorabes (jadis dénommés Wendes) sont une minorité slave vivant sur le territoire de la RDA. Néanmoins, ils résident depuis le 2ème siècle déjà, en Lusace, le long de la rivière Sprée. Ils ont leur propre langue et leur propre culture.

La musique populaire sorabe s'est maintenue jusqu'à nos jours, dans les hameaux éloignés de la lande, autour du bourg de Schleife, dans le canton de Weisswasser (Weisswasser, en Sorabe "Beta-Woda", est situé au sud de Cottbus, non loin de la frontière polonaise). On y entend encore le petit et le grand violon sorabe à trois cordes ainsi que la clarinette, la contrebasse et, naturellement aussi, la cornemuse.

Il y a encore une trentaine d'années, la muisque à danser était jouée par ces instruments lors des mariages.

 

Il existe deux sortes de cornemuses sorabes :

La cornemuse dont le sac est de cuir noir (nommée "Mechawa"), sans tête sculptée ni décorations. Cette cornemuse était jouée avec le petit violon sorabe à trois cordes, uniquement pour les cortèges de noce.

La cornemuse en peau de chèvre blanche nommée "Kozol" c'est à dire la cornemuse joyeuse, qui est jouée dans les bals de noce ainsi que dans toutes les occasions joyeuses.

Cette dernière se présente ainsi :

- une peau blanche dont l'arrière et les pattes postérieures sont fermées par des chevilles de bois,

- à l'emplacement de la tête est placée une tête de chèvre sculptée avec des cornes recourbées (ce sont en fait des canines de sanglier mâle). Le tuyau mélodique est adapté à celle-ci. Son pavillon est constitué d'une corne de vache recourbée, prolongée d'une plaque de laiton ouvragée,

- à la patte antérieure gauche est fixé le bourdon. Celui-ci est constitué de quatre parties : le raccord d'épaule condé et trois trois parties verticales. La partie centrale comporte une triple perce. A l'extrémité du bourdon se trouve aussi un pavillon,

- à la patte antérieure droite est fixé le soufflet actionné par le bras droit du musicien,

- l'instrument est richement décoré d'incrustations d'étain dans le bois. Les pavillons sont décorés de dessins sorabes typiques représentant des feuilles de tilleuls,

- toutes les perces sont cylindriques. Les meilleurs bois utilisés sont le prunier et le poirier,

- tuyau mélodique et bourdon sont équipés d'anches en roseau montées sur tube laiton,

- cette cornemuse sonne en Fa majeur.

La cornemuse Kozol est accompagnée par le petit et le grand violon à trois cordes, la clarinette (jadis le hautbois) et la contrebasse.

 
Kito (Christian) Lejnik (Lehnigh) (1885-1958) de Mühlrose (canton de Kreiswasser)

Je fabrique moi-même ces cornemuses. Ayant appris la serrurerie avant mes études musicales, je possède les capacités artisanales nécessaires. Je ne fabrique pas professionnellement. A côté de mon travail de musicien à l'ensemble national pour la culture populaire sorabe - extraprofessionnellement j'ai un orchestre de vents et la direction de plusieurs ensembles culturels avec cornemuses - je construis de temps à autre une cornemuse.

Karl Tillich

* * *

Jean-Luc Matte : Comment expliquez-vous que la cornemuse "Mechawa", utilisée dans les cortèges de noce, soit moins décorée que la cornemuse "Kozol" alors que, généralement, dans les autres traditions,,les instruments sont spécialement décorés lors des mariages ?

Karl Tillich : Le sac noir et le peu de décorations déterminent le caractère digne et grave exigé par les choses de la religion. Il y a encore une différence avec la cornemuse blanche : les bourdons ne comportent pas de triple perce et ne forment pas un angle sur l'épaule, il repose vers l'arrière, au dessus de celle-ci.

 

JLM : Les deux cornemuses étaient-elles jouées par les mêmes musiciens ? Le jeu était-il le même pour ces deux instruments ?

KT : Autant que je sache, chaque joueur utilisait les deux types de cornemuses. Elles ont également le même doigté.

 

JLM : Reste-il encore, dans votre région, d'anciens joueurs de cornemuse ?

La cornemuse s'est maintenue couramment jusqu'à nos jours dans la région de Weisswasser. Un vieux joueur possédant un instrument vieux de deux siècles mais qui n'était pas en état de fonctionner, vit encore . De nos jours, il y a, dans cette région, un ensemble folklorique qui s'adonne à la musique sorabe avec cornemuse.

Depuis 1984, les Rencontres de cornemuse de Schleife (une commune de cette région) rassemblent des instrumentistes sorabes, mais également de Pologne, Bohême, Hongrie, RFA etc.

 

JLM : Retrouve-t-on les mêmes cornemuses de l'autre côté des frontières : en Tchécoslovaquie et en Pologne ?

Les cornemuses tchèques et polonaises sont de type apparenté mais de facture différente.

 

Bibliographie : Mis à part les articles du "Dudlpfeifer, le seul article que je connaisse sur les cornemuses de cette région a été publié en langue allemande dans le bulletin N°VI (1976) du Musée instrumental de Bruxelles : " Des Sorbisches Dudelsack " par Dr Jan Raupp.

Note 2013 : depuis cet article est paru l'ouvrage de référence de Josef Rezny "Der Sorbische Dudelsack" (cliquer sur l'image pour lire ma chronique de cet ouvrage)

 

Discographie : K. Tillich m'a envoyé le disque " Och rjana roza " des chœurs et orchestre de l'ensemble national pour culture populaire sorabe. Il joue de la cornemuse sur deux morceaux mais celle-ci est quasiment inaudible dans l'orchestre. Il ne s'agit d'ailleurs pas de musique traditionnelle ni de folklore de l'Est tel qu'on a l'habitude de l'entendre mais cela ferait plutôt penser, faute de meilleure comparaison , à Canteloube avec des accents de folklore germanique.

Peu de temps plus tard paraissait la K7 de Sprjewjan qui aurait du être ma première chronique dans Trad. Magazine

Cette K7 succédait à un 33t "Zahraj nam rejku" ou Thomas Nawka ne jouait pas encore de cornemuse


La Cornemuse - Emblème sonore de l'Egerland

 

Remarque préliminaire : l'ancienne région "Egerland" se dénomme aujourd'hui en tchèque "Cheb", ainsi que la ville "Eger". La rivière "Eger" est devenue, en tchèque "Ohre"

 
Carte postale ancienne, trio violon, petite clarinette et cornemuse de type Ziegh

La seule minorité allemande qui n'ait pas interrompu, jusqu'à ce jour, le jeu de la cornemuse, est celle des Egerländers. Leur patrie héréditaire était la Bohême de l'ouest allemand. Elle s'étendait des versants des monts métallifères jusqu'au sommet de la forêt de Bohême, depuis la frontière linguistique près de Pilsen, jusqu'à l'ancienne ville impériale Eger.

Leur antique dialecte, avec ses diphtongues spécifiques et son répertoire de chants , volumineux et autochtone, se différencie de tous les autres. Quoiqu'en raison de leur appartenance au peuple Allemand, ils aient été chassés de Bohême en 1946 par les Tchèques, (Bojohaeum - pays des Boïens), ils purent préserver à l'étranger, en tant que patrimoine culturel, leurs us et coutumes, leur dialecte et leurs chants, ainsi que la cornemuse. Les plus anciens des Egerländers furent les Boïens celtes (env. 400 av J.C.). Autour de l'an 12 av. J.C. les Markommans germaniques envahirent le pays et laissèrent leurs vestiges. Après Charlemagne affluèrent vers la Bohème les paysans et mineurs franconiens. A en croire l'histoire de toutes ces ethnies, les Celtes furent le peuple le plus musicien et le plus créatif.

Mais revenons-en à la cornemuse de l'Egerland. Depuis toujours on en distingue deux formes : la "Ziegh" (Chèvre) et le "Buack" (bouc). Considérant l'éthymologie et l'ethnologie, il apparaît que les anciens noms de la cornemuse, de la Perse jusqu'à l'Espagne, de l'Afrique du Nord jusqu'au pays des Wendes (Sorabie), proviennent des mots indo-germaniques-celtes "ghaido-s" (chèvre), "corne" et "bhugo-s" (bélier, bouc). Les nombreuses chèvres, à elles seules, font déjà dresser l'oreille : Gaïta gallega (galicien), Gaïda (bulgare, polonais, ruthénien), Gajde, Gadle (serbo-croate), Gajdy (slovaque), Keydy (tchèque), Gjaida (galate, celtes de Turquie), Kosciol (cornemuse sorabe = bouc). Nous trouvons une semblable unicité avec les noms qui proviennent de "corenu" : corn phiopa (Irlande), Cornamusa (Italie), Cornemuse (France), Cornbib, Cornbibel, Pibcorn (Ecosse, Angleterre). Pour ce qui est des "Bocks", on en connaît encore en Pologne et en Bohëme. Sur une enluminure médiévale dont dessinés deux bardes (troubadours) avec une cornemuse de type "Bock". La cornemuse arabe Zuqqara porte deux cornes à ses tuyaux mélodiques. Lorsque l'on gonfle la cornemuse de Dalmatie, elle apparaît comme une grosse tête de bouc. Les Celtes voyaient dans le bélier et dans le taureau les incarnations des divinités. Ce culte remonte à l'époque postglaciaire (voir la grotte des Trois frères en Ariège, un sorcier à corne de bouc soufflant dans une flûte). La cornemuse est-elle la relique d'un archaïque instrument de culte ? Les bourdons et abeillent jouissaient d'une vénération religieuse en tant que pourvoyeurs du miel divin. Est-ce un hasard si de tous temps, les tuyaux de la cornemuse ont porté des noms d'insectes. Le tuyau grave de la cornemuse de l'Egerland s'appelle "Hummel" (bourdon), en France "bourdon", en Ecosse "drone", en Galice "roncon" (parallèlement en anglais to hum = bourdonner, ronfler, murmurer, mugir. Dans tous les cas une reproduction des bruits de la nature).

Le tuyau mélodique à sept trous est appelé "Breama" (en alemand "Rinderbremse", en anglais "hummer", en français "taon"). Un dicton de l'Egerland dit "A alts Wei(b) u a Du(d)lsoock, döi summa u bramma an ganzn Togf" (une vieille femme et une cornemuse ronflent et bourdonnent toute la journée).

Les deux tuyaux portaient, à leur partie supérieure, des anches en sureau dont on préservait la souplesse des parties vibrantes avec de l'huile de lin (afin de les rendre moins sensibles à l'humidité). On les accordait avec une ligature de fil fort et par collage de poix de cordonnier. Aujourd'hui on utilise un petit tuyau de laiton coupé en deux sur lequel est fixé une anche de clarinette.

Jadi la cornemuse était accordée en Do, Ré, Fa ou Mi majeur. Aujourd'hui le Fa majeur s'est imposé. La tessiture correspondante du tuyau mélodique est do - mi fa sol la si do ré. La note do est ajustée par un trou supplémentaire d'accord. Le trou pour la note ré se trouve à l'arrière du tuyau mélodique et est bouché par le pouce de la main gauche. On utilise le doigté fermé (baroque). Le tuyau grave (bourdon) est accordé en Fa grave par coulissage. Avec la tessiture ci-dessus, il est possible de jouer toutes les authentiques chansons populaires de l'Egerland.

 
Bocks et Ziegh de l'Egerland (dessins C. Matte)

Le trait caractéristique à tous les "Bocks" est autant la tête de bouc sculptée (en Hongrie, qu'une véritable tête de bouc), que les pavillons en corne de bœuf. Les cornes étaient-elles trop courtes, on les prolongeait avec des feuilles de laiton. Ces dernières étaient finement martelées et artistiquement décorées. La "Ziegh" ne comporte un pavillon en corne de bœuf qu'à l'extrémité du bourdon. Il faut remarquer, dans cet ordre d'idées, que les cornes pour cornemuses étaient toujours, en Egerland, mises en forme sur les bœufs vivants.

 

Les matériaux de la cornemuse peuvent être définis par cinq mots : bois, peau, corne, chanvre et sureau. Pour le sac on utilisait la peau tannée d'une chienne à poils longs. Les chiennes étaient moins impliquées dans les bagarres, leur peau est plus souvent exempte de morsure (2) les tuyaux (tuyau mélodique, bourdon, porte-vent et souches) étaient tournés dans du bois de prunier sec. Alors que pour les "Bocks" le sac porte la toison naturelle, on emploie un cuir lisse pour les "Ziegen". Pour ces dernières, le hautbois se trouve dans une simple souche du sac. A l'origine ces deux instruments étaient gonflés à la bouche. L'insufflation par soufflet est utilisée par tous les "Bocks" tandis que la "Ziegh" reste alimentée par le souffle du cornemuseux.

Jadis chaque musicien construisait son instrument lui-même. Mais il y eut déjà au siècle précédent des facteurs de cornemuse qui se firent un nom. Scharnagi de Oberndorf-Harlas et Eberl de Grossloh avaient une certaine réputation.

On assiste, de nos jours, à une vraie renaissance de la cornemuse d'Egerland grâce aux efforts du Professeur Tibor Ehlers, originaire d'une colonie allemande des Carpathes (ajourd'hui en URSS), lors des stages de cornemuse donnés à Pleystein par le Dr Adolph Eichenseer du Haut-Palatinat (3) . De plus jeunes maîtres en facture et en jeu de la cornemuse en sont issus. Je veux nommer, entre autres, Georg Balling (4), Alphonse Kern, Helmut Mossman et Karl Riedel. Le rédacteur du "Dudlpfeifer", Lothar Junghänel vient aussi du cercle de Pleystein

 

Andreas Spriessler, l'humoriste et chanteur connu bien au delà de l'Egerland sous le nom " Der alte Schimmel " (le vieux cheval blanc) passait pour un véritable cornemuseux, typique de l'ancienne école. Il savait encore jouer à la manière ancienne et pouvait encore exécuter, à l'âge de 80 ans, les vieux chants et quatrains (courtes chansons improvisées).

Le 7 février 1907, dans sa ville de Eger, âgé de 87ans, il laissa à jamais tomber la cornemuse de sa main. Son digne successeur, fut le cornemuseux-violonneux Anton Zartner de Reichenbach en Kaiserwald. Son ensemble musical s'appelait "Der Reichenbacher Sdudelsack" (la cornemuse de Reichenbach). Avec celui-ci, il divertit ses compatriotes dans toute la monarchie danubienne. Il se produisit aussi pour le public étranger dans la station thermale mondialement connue de Karlsbad. Il préférait jouer et chanter les chansons naïves et sensuelles de sa patrie. Il était improvisateur par la grâce de Dieu, pouvait chanter, jouer et rimer des heures durant et passait aussi pour un violoniste virtuose avec son cul (il pouvait jouer du violon dans toutes les positions). Le vieux Zartner, surnommé aussi " Hüafa ", mourut le 31 juillet 1921. Il repose dans le cimetière de Kirchenpirk. Ses instruments ont été perdus en 1946.

Mais déjà du vivant de Zartner, un autre ensemble avec cornemuse atteignait une certaine renommée. Il s'agissait des " Krautmänner " de la région de Falkenau, qui tiraient leur nom de celui de leur chef d'orchestre Wenzl Krautmann. Cet ensemble avec cornemuses joua dans de nombreuses grandes villes, dans des fêtes populaires et même à la radio. Il prit fin avec la mort de son chef le 12 juillet 1953.

Après l'expulsion des Egerländers, l'orchestre avec cornemuses d'Adolf Huska fit sensation. Il récolta de nombreux applaudissements lors de ses passages sur scène. Cet ensemble utilisait trois violons, deux clarinettes, deux cornemuses, une harpe et une contrebasse. Il fixa sur partitions, pour cette formation, toute la littérature accessible. Huska fut emporté le 1er septembre 1962, à l'âge de 73 ans par une embolie. Il représentait la neuvième génération d'une lignée de cornemuseux.

A côté d'Huska, Erwin Korn de Hüttenhäuser près de Plan apparut ensuite comme joueur soliste, avec sa cornemuse vieille de plusieurs générations. L'instrument, qu'aujourd'hui encore il " martyrise, maltraite et travaille " est vieux de plus de 200 ans. Parmi les ensembles actuels, l'orchestre avec cornemuses des "Eghalanda Gmoi z'Heidelbergh " (Amicale Egerländer de Heidelberg), sous la direction de M. Baumann a obtenu une certaine considération. Il joue avec la même formation instrumentale que celui d'Adolf Huska.

Primitivement (avant 1700 environ), la cornemuse était jouée par les bergers, paysans et musiciens ambulants comme instrument soliste. Puis se joignit à elle le petit violon (violon bock, violon court, dessus de violon, demi violon). A défaut on ligaturait un violon normal dans la troisième position (mi, sol, ré, la). C'était là l'orchestre à danser tel qu'il était joué il y a encore 200ans à toutes les occasions de fête et dans les auberges. On chantait toujours pour accompagner les orchestres à cornemuses d'Egerland, ainsi que pour les diverses danses. En dernier vint une simple clarinette paysanne dénommée " Prügel ". D'où la chanson : "Geign, Du(d)lsook, Klannen - döi machn lustes le(b)m !" (violons, cornemuses, clarinettes rendent la vie joyeuse). Cette formation peut être considérée comme l'achèvement d'une vieille tradition séculaire.

L'attachement de l'Egerland pour sa cornemuse transparaît au travers des nombreux chants, poésies, danses, maximes, dits et récits sur cet instrument.

Si je ne peux énumérer ici ce qui réunit Egerländer et Celtes, ils ont une chose en commun : on peut les disperser autour du monde entier, ils restent attachés à leurs traditions, à leur langue, à leurs chants et à leur cornemuse.

Hans Werner Dietl
De Bad Königswart, Egerland (Bohême) aujourd'hui D-6424 Grebenhain 1

Voir la page consacrée à H.W. Dietl et la copie de son article sur la fontaine au joueur de cornemuse de Eger

* * *

JL Matte : Pouvez-vous nous résumer les différences organologiques entre "Bock" et "Ziegh" ?

Hans Werner Dielt :

Ziegh : hautbois sans pavillon, pas de tête de chèvre, tonalité plus aigüe (si), gonflée à la bouche, bourdon pendant par devant, sac de cuir lisse

Bock : comporte des pavillons aux deux tuyaux, tête de chèvre, tonalité plus basse (Fa ou Do), alimentée à bouche ou par soufflet, bourdon pendant par devant (petit bock) ou reposant sur l'épaule (grand bock), sac en peau de chèvre avec poils à l'extérieur.

Cependant, la cornemuse de Huska était non seulement gonflée à la bouche, mais également alimentée par un soufflet. Un exemplaire similaire se trouve au Stadmuseum de Giessen (Hesse), section Egerland. Cet instrument a été acheté à de vieux "Ziederer" à Schirnding (Haut-Palatinat). A l'Egerland Museum de Marktredwitz se trouve une "Ziegh" avec deux pavillons et un soufflet richement décoré. Il existe encore d'autres variations autour des cornemuses d'Egerland.

 

JLM : La Ziegh n'est-elle pas plus ancienne en Egerland, le Bock étant une invasion plus récente (les dessins anciens semblent montrer plus de Ziegh) ?

H.W. D.: La Ziegh a pu être l'instrument le plus ancien (l'instrument originel). Mais ça n'est qu'une supposition.

 

JLM : On retouve quasiment les deux mêmes types d'instruments qu'en Sorabie (Ziegh et Mechawa, Bock et Kozol). Expliquez-vous ce fait ? Quelles sont les spécificités des instruments de l'Egerland par rapport aux cornemuses Sorabes, mais également polonaises et tchèques ?

H.W. D.: Allemands et Slaves ont vécu amicalement pendant des siècles, ensemble et côte-à-côte. Il n'est donc nullement étonnant que les type de cornemuses d'Europe de l'est et centrale aient de nombreuses similitudes. Sur ce thème, Lothar Junghänel a écrit dans le Dudlpfeifer n°24 " Nous devons voir notre dénominateur commun : la cornemuse sous toutes ses formes et laisser à chacun son propre rêve. "

 

JLM : Les expulsés de L'Egerland sont-ils dispersés dans toute la RFA ou sont-ils restés dans certaines régions particulières ?

H.W. D.: Les réfugiés de l'Egerland se sont dispersés, après la seconde guerre mondiale, dans tout le restant de l'Allemagne. Ils ne se sont pas établis dans une région déterminée. Lorsque je veux parler à quelqu'un dans mon dialecte, je dois parcourir 40km.

 

JLM : La tradition de l'Egerland et le jeu de ses cornemuses reste-t-il pratiqué uniquement par les originaires de cette région ou est-elle reprise par d'autres allemands ?

H.W. D.: La tradition de l'Egerland est cultivée principalement par les réfugiés encore en vie. Ils se sont réunis au sein de l' "Eghalanda Gmoi" (amicale de l'Egerland). Ces vieilles traditions auront disparu au plus tard en l'an 2000.

La cornemuse de l'Egerland est également jouée par d'autres allemands (principalement franconiens, bavarois et sorabes), depuis peu dans le cadre du renouveau folklorique.

 

Bibliographie :

H.W. Dietl " Brouda Liedale, Derbsinnliches zum Dudelsack " 1987. Compilation de textes sur l'Egerland et sa cornemuse et répertoire de chansons sensuelles ; rédigé en partie en dialecte de l'Egerland et en graphie gothique. Nombreuses reproductions et gravures sensuelles ou relatives à la cornemuse (malheureusement reproduction par photocopie)

A. Brosch " Der Liederschatz des Egerlandes Windsheim " 1953 AEK 1986 Sulzbach/Rosenberg. Le plus important répertoire de partitions et chants populaires de l'Egerland.

Voir également la bibliographie sur la page consacrée à H.W. Dietl

 

Discographie (33 tours) :

Ein Egerländer Sonntag : Colos 3001 SMC

Egerländer Notenbüchl : LP Nr EJ 077

Jetzt Klingas Wieder Col 3050 SMC

Ce dernier est le plus récent des trois et, sans doute, le plus intéressant à nos oreilles. Enregistré par les musiciens de l'équipe de Pleystein (Tibor Ehlers), il présente d'intéressants exemples du jeu de cette cornemuse (ainsi que de la vielle à roue), en solo, en duo, en accompagnement de chant ou avec d'autres instruments. Le répertoire inclus des morceaux traditionnels de l'Egerland mais aussi du Haut-Palatinat (voir ci-dessous note 3).

Les deux autres disques presentent le répertoire de l'Egerland, mais dans des interprétations, et surtout, des instrumentations beaucoup moins traditionnelles. Si l'ensemble cornemuse-clarinette-harpe-violon dont parle H.W. Dietl est représenté sur chacune des pochettes (pour une fois je vous les ai mises en grand derrière les imagettes : cliquez dessus pour profiter des illustrations), ça n'est pas lui que l'on entend sur les disques. Dans "Egerländer Sonntag" il s'agit carrément d'une harmonie et les arrangements sont caractéristiques de ces formations (ce que l'on appelle couramment de la "Oum pa pa musik"). "Egerländer Notenbuchl" est un peu plus varié mais présente guère plus d'intérêt pour l'amateur d'instruments traditionnels : trois morceaux seulement de cornemuse, de moins d'une minute chacun, et d'une technicité approximative. Le reste du disque est interprété par différents ensembles (groupes vocaux, fanfares, flûtes à bec, accordéon etc.).

Citons enfin, puisque beaucoup ont eu l'occasion de les écouter à St-Chartier en 1986, le groupe Alabätsch dont le cornemuseux, Horst Grimm, utilise entre autres, une cornemuse de l'Egerland, dans un répertoire différent (il s'agit d'un groupe franconien). Sur leurs derniers disques ("Höllendreher" et "Scharaffenland"), il exerce sa virtuosité dans un registre plus moderne.

..

(1) Il s'agit d'une des enluminures des Cantigas de Santa-Maria d'Alphonse X (vers 1270, Madrid bib de l'Escorial jb2 fol 235v.) représentant deux cornemuses dont le tuyau mélodique est prolongé par une longue corne formant pavillon. Il existe d'autres représentations de cornemuses de ce type (fresque de La Clayette, annonces aux bergers du scole de la Vierge de Jeanne d'Evreux par exemple). Le rapprochement des termes "bardes" et "troubadours" me semble personnellement bien hasardeux (note de J.L. Matte) retour

(2) La peau de chien offre la particularité de ne pas avoir de pores, ce qui est très intéressant pour l'étanchéïté. Gutemberg utilisait déjà cette propriété pour ses tampons à encrer et il est étonnant que la peau de chien ne soit pas plus employée pour les sacs de cornemuse. Cela est sans doute du au statut de cet animal dans la société. (note de JL. Matte) retour

(3) Egerland et Haut-Palatinat formaient, jusqu'en 1322, le "Bairischen Nordgau" de l'Empire allemand. Aujourd'hui persistent encore, entre ces deux peuples, de fortes affinités culturelles (note de H.W. Dietl) retour

(4) Que l'on peut entendre sur l'excellent disque "Drah di Um" (Germa 0647 271) : Musique traditionnelle du Haut-Palatinat et des territoires voisins, comportant deux morceaux d'Egerland. retour

Dasn l'esprit de "Drah di Um" paraîtra un peu plus tard le double 33t "Regenburger Bordunmusik - Traditionnelle Volkstänze aus dem Raum Regensburg der Oberpfalz und anderen Gebieten" avec à nouveau quelques airs du répertoire d'Egerland avec toujours Georg Balling à la cornemuse.

 

 

 


 

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