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Jean-Luc Matte
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Hommage à Michèle Fromenteau

 Plutôt qu'un hommage classique à celle grâce à qui j'ai pu vivre à ce jour 39 éditions successives des Rencontres de Saint-Chartier puis du Son Continu soit environ 3 mois et demi de pur bonheur, à celle qui avait laissé de côté une carrière de vielleuse baroque professionnelle pour pouvoir faire vivre ces Rencontres, j'ai choisi de ressortir l'interview ci-dessous.

 


détail d'une carte postale des années 50 ou 60...

 

Interview réalisée en 2000 pour Trad Magazine dans le cadre d'une série : "L'organisateur cet inconnu"

 

Dans les revues de musique telle Trad. Mag. la parole est souvent donnée aux musiciens, quelquefois aux spectateurs (chroniques de disques, courrier des lecteurs, réflexions de danseurs). Si elle l'est également parfois aux organisateurs ceux-ci s'effacent alors le plus souvent derrière la présentation de leur manifestation. La motivation de l'organisateur (de festivals, de stages ou de simples concerts) recèle pourtant davantage de mystère que n'importe quelle voix bulgare : travailleur acharné, il jongle entre paperasseries administratives, animation d'une équipe de bénévoles, problèmes techniques, risques financiers…, tout cela sans avoir le temps (ni l'esprit) pour profiter réellement de la fête, sans grand espoir d'un applaudissement ou d'un remerciement mais avec la certitude d'essuyer les critiques des "y a qu'à"(1). Ajoutons que nombre d'entre eux sont bénévoles et vous comprendrez pourquoi j'ai entrepris d'essayer, pour une fois, de les faire parler de leur rôle, de leurs motivations.

J'ai tenté de recueillir ainsi les témoignages complémentaires d'un petit panel d'organisateurs, de grosses et de petites manifestations auxquels j'ai posé les mêmes questions et nous commencerons, dans ce numéro par l'interview de celle grâce à qui nombre d'entre nous se retrouvent une fois l'an à Saint-Chartier.

 

Michèle Bour Fromenteau

Présidente du Comité George Sand.

Entretien recueilli "à chaud" au plein cœur des rencontres 2000.

 

Genèse

Comment se retrouve-t-on, un jour, organisateur du second (2) festival de musiques traditionnelles en France ?

A cause de George Sand, puisque le festival est né en 1976 dans le cadre de manifestations visant à honorer la "bonne dame de Nohant". Nous n'avions d'ailleurs pas l'intention de faire un festival, comme je le rappelle souvent : il y a eu en 1976 une volonté de réaliser des manifestations autour de G. Sand, d'animer des lieux qui illustrent ses romans et c'est ainsi que le château des maîtres sonneurs à été choisi. J'ai alors pensé que, en dehors des groupes de folklore (parce qu'à l'époque il y avait surtout des groupes de folklore), il était intéressant d'inviter des fabricants puisque moi-même, avec ma vielle, j'avais quelquefois des problèmes de mise au point. Tout est parti de là. Avec Jean-Louis Boncoeur qui était le président à l'époque, nous avons ressenti un besoin de contact entre les musiciens et les fabricants et nous nous sommes dit qu'il fallait continuer et ensuite, chaque année, le festival a grandi. Personnellement j'ai été ainsi poussée et c'était une aventure : je n'étais pas du tout préparée à cela.

 

Ca n'était donc pas franchement volontaire, vous aviez mis le doigt dans l'engrenage…

Oui et, par la suite, on se sent tellement concerné, c'est malgré soi et c'était vraiment très intéressant. Ce qui était important pour moi, dès le départ, c'était de faire venir un public, mais un public qui participait, pas un public qui venait assister à un concert et le terme rencontres que nous avions choisi est vraiment le terme qu'il fallait..

 

Ca n'est pas un nom choisi par hasard…

Non, c'est certain !

 

S'entourer

Comment arrive-t-on à s'entourer lorsque l'on monte une manifestation qui prend cette ampleur, comment peux-t-on générer une telle équipe de bénévoles ?

Par la force des choses : si on voulait continuer il fallait s'entourer de bénévoles susceptibles de nous seconder, de nous aider. Cela n'a pas toujours été évident mais nous avons eu la chance d'avoir un festival qui a grandi régulièrement, il n'y a pas eu d'année particulière avec un développement extraordinaire, cela nous a permis de nous adapter régulièrement. Nous nous sommes ensuite structurés en commissions (hébergement, matériel, accueil des groupes, partie artistique…) et on a quand même trouvé dans la région de La Châtre suffisamment de gens qui avaient envie de s'investir dans ces actions.

 

Cela représente combien de personnes ?

Il y a le comité des fêtes de St-Chartier qui organise la partie hébergement (organisation des campings), nourriture, bar et le Comité George Sand (association 1901 également) qui, tout au long de l'année organise le festival. Avec mon mari nous y avons travaillé seuls pendant des années et maintenant il y a un permanent (3). En cours d'année nous sommes très peu, mais durant les rencontres il y a maintenant 130 personnes qui travaillent au sein du Comité George Sand et davantage encore (environ 150) pour le Comité des fêtes de St-Chartier. Pendant longtemps les tribunes étaient montées par des bénévoles du pays mais depuis quelques années on a bien senti qu'il était indispensable de se professionnaliser; depuis le drame de Furiani beaucoup de choses ont changé.

 

Justement le festival se professionnalise progressivement, combien y a-t-il maintenant de professionnels qui y travaillent, en dehors des musiciens et facteurs d'instruments ?

Le montage des stands (qui nous appartiennent) est assuré par une équipe de Chateauroux qui surveille les campings également. Avant le festival une équipe vient monter le podium. Le montage de la tribune représente le gros morceau (3200 places) et c'est une société du Printemps de Bourges qui s'en charge. José Nédelec du festival de Lorient nous donne des conseils pour gérer l'espace : tous les ans nous pensons qu'on ne pourra plus mettre de nouveaux stands et tous les ans il y parvient encore.

 

Jose Nédelec vient avec sa propre équipe ?

Oui, toute une équipe qui vient 8 jours avant pour conseiller l'installation. Il y a également tout l'aspect sonorisation qui est, bien entendu, assuré par des professionnels.

Avant le festival il y a également toute une partie administrative : tout ce qui touche en particulier aux contrats avec les groupes et également toute la partie luthiers qui est très importante : il y a environ 150 luthiers dans notre fichier auxquels nous envoyons les fiches d'inscription en mars avec réponse pour fin avril, il y a une liste d'attente à gérer ensuite car malheureusement, cette année, nous n'avons pas pu satisfaire tout le monde; après il faut les répartir entre les différents stands, réclamer les photos (parce qu'ils sont étourdis souvent…). Tout ce travail justifiait l'embauche d'un permanent.

 

Et sur le plan artistique, le travail de recherche des groupes est un travail de longue haleine je pense…

Oui cela commence à partir de septembre, même si l'année d'avant il y a déjà des groupes envisagés. Nous avons maintenant des antennes : des conseils nous sont donnés par des gens qui nous indiquent des groupes et auxquels nous faisons confiance, il y a des groupes connus que nous avons envie d'avoir, des groupes qui nous envoient leur enregistrement et pour lesquels nous avons le coup de cœur mais tout cela prend beaucoup de temps.

 

La motivation

C'est justement la question que l'on peut se poser en voyant des organisateurs comme vous donner le plus gros de leur temps libre à leur manifestation : quelle est la motivation qui vous pousse ainsi à le faire ? Vous nous avez expliqué être entrée dans ce rôle un peu par hasard mais qu'est ce qui vous a motivé pour ne pas raccrocher ?

 

C'était une telle aventure ! Lorsque j'ai invité ainsi les fabricants d'instruments, je pensais bien qu'en les mettant ainsi en concurrence cela ferait développer la facture instrumentale et rien que cela a suffit à me pousser : penser à tous les musiciens qui peuvent aujourd'hui faire une musique qu'il était impensable de faire sur les instruments disponibles il y a trente ans ou même sur des vielles du XIXème pour ce qui concerne la vielle.

 

Il est vrai que tout le monde ne perçoit pas l'influence qu'ont eu les Rencontres sur la facture instrumentale..

Oui, l'importance des 25 ans de rencontres sur cet aspect est quelquefois oublié, ou pas assez rappelé, et c'est un peu frustrant.

 
Michèle Fromenteau en 2015 au sein du Grand Orchestre (au premier plan à gauche)

Les critiques

Cela m'amène au point suivant : le festivalier ne pense à l'organisateur que lorsqu'il a des critiques à formuler, n'est-ce pas souvent décevant ?

Oui c'est souvent décevant, d'autant qu'au départ je suis musicienne, les premières années je parvenais à jouer et puis progressivement cela m'est devenu impossible car il n'est pas possible de jouer et d'organiser en même temps : il y a trop de stress, d'énervement, donc maintenant je fais jouer les autres.

Ce qui est un petit peu frustrant c'est que, pratiquement, les luthiers profitent beaucoup de St-Chartier, il faut le reconnaître, mais il n'y en a que deux ou trois qui nous remercient à la fin des Rencontres qui me font part de leur contentement, pour la plupart c'est naturel que nous fassions cela pour eux.

 

Il ont du mal à prendre en compte le fait que l'on se trouve dans une manifestation associative et non dans le circuit commercial ordinaire

Oui et puis également le fait que l'on se donne énormément de mal. Nous ne voulons pas forcément des remerciements, mais qu'au moins les Rencontres soient mentionnées, en cours d'année par les luthiers et musiciens, qu'il soit reconnu que St-Chartier a quand même apporté et apporte toujours beaucoup à la musique traditionnelle.

 

Projets

Quels sont vos projets, vous n'êtes pas encore arrivée au bout de votre action ?

Si, un peu tout de même : 25 ans de rencontres c'est quand même quelque chose et il va y avoir un tournant; non pas que nous allions complètement abandonner, avec mon mari, mais il faut laisser la place aux jeunes, il faut préparer l'avenir, donc prendre un peu de recul car nous ne devons pas continuer à penser que l'on pourra toujours personnellement en faire autant pour les Rencontres. Mais tout cela se prépare…

 

Déjà la professionnalisation est une première manière de prendre du recul ?

Oui mais je pense réaliser, de plus, une réorganisation l'année prochaine : c'est nécessaire et c'est une bonne chose : nous avons donné beaucoup. Pour l'instant c'est encore un petit peu tôt pour en parler

 

Des conseils ?

Quels conseils donneriez vous à ceux qui voudraient se lancer dans l'organisation ?

Il faut être passionné, pour se donner complètement au détriment de sa vie familiale : les Rencontres c'est une véritable entreprise, il faut être passionné pour réussir. Il faut également avoir une écoute des autres, une certaine largeur d'esprit

 

Et supporter la critique…

Oui, mais c'est cela aussi être passionné, la critique, cela fait quelquefois mal, mais il arrive un moment où on sait passer par dessus. Et pui il y a aussi beaucoup de satisfactions, des rapports humains enrichissants

 

Avec les musiciens par exemple ?

Oui avec les musiciens, mais aussi avec les bénévoles, les luthiers également, malgré ce que j'ai dit tout à l'heure, et cela au travers de toute l'Europe. Le milieu de la musique traditionnelle est assez fermé mais il y a des rencontres extraordinaires, des souvenirs… c'était très riche !

 

(1) N'étant pas moi-même organisateur, je me suis permis de noircir un peu le tableau, laissant ainsi le soin aux intéressés de détailler les points plus positifs…

(2) Le premier étant évidemment Lorient et ce classement étant purement subjectif, certains festivals de folklore drainant certainement plus de spectateurs que St-Chartier

(3) Guillaume Taillebourg

 

  Maurice Bourg et Michèle Fromenteau en 2014 au Son Continu, année de l'exposition "La belle vielleuse" réalisée à l'occasion du don de leur collection de vielles à roue à la ville de La Châtre.

 

Voir également le film de Claude Flagel "On a fait des Rencontres", interview de Michèle et Maurice réalisée en 2014 (Michèle commençait à être diminuée d'où le fait que ce soit essentiellement Maurice qui parle)


 

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