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Jean-Luc Matte
Infos mumuses

Hommage à Thierry Boisvert

 


Thierry Boisvert St-Chartier1981

Texte mis en ligne le 02/07/2011 et affiné par la suite

Du Périgord m'est parvenu la triste nouvelle du décès de Thierry Boisvert, le matin du 1er juillet, à l'âge de 57 ans. Nous avions beau redouter l'arrivée de cette nouvelle depuis la rechute de son cancer cet hiver, il est des nouvelles qu'il est difficile d'accepter.

 

Son nom ne dit sans doute rien à ceux qui fréquentent le milieu de la musique trad depuis moins de 20 ans car il s'en était un peu retiré, mais il gardait toujours un oeil sur le monde des cornemuses et des chabrettes en particulier, comme en témoignaient les mails qu'il m'adressait régulièrement.

 
autoportrait à la manière de Desproges

Un reportage de FR3 de la fin des années 70 (?) montrait déjà Thierry en compagnie de Coco Lemeur faisant tous deux une manifestation musicale antifolklore lors d'une grande Félibrée en Périgord...La pleine période post soixante huitarde....

 

Il se lance dans la facture des chabrettes en 1980 ( ce qui lui valu un beau petit reportage de FR3 Bordeaux réalisé par un certain Claude Flagel...) et nous sommes quelques-uns à conserver précieusement l'un de ses 65 instruments. Il a eu rapidement pas mal de commandes, mais son caractère ne s'accomoda finalement pas de ce métier dont la rigueur nécessaire à une production de qualité constante ne permettait pas à son désir de création de s'épanouir autant qu'il l'espérait. Lui qui percait ses boitiers à main levée n'envisageait pas de devoir travailler sur un tour de mécanique....


Dans son premier atelier en 1984 : pose de l'étain autour du miroir central d'un boitier type St-Yrieix

De même il tâta un peu de la vie de musicien pro pour se rendre compte que là non plus n'était pas la voie créatrice qu'il espérait. Je doute qu'il ait été tenté de courir les diplômes lorsque ses collègues collecteurs-chercheurs reprirent les chemins des facs d'ethnomusicologie dans les années 90. N'allez pas croire pour autant que Thierry était un dilletante : c'est au contraire sa forte implication personnelle dans ses différents domaines d'intérêt qui l'amenait à répugner de faire les concessions que nécessite souvent la professionalisation. Il arrêta la facture en 1990 et c'est finalement dans le domaine de la graphie et de la PAO, au sein de sa propre société DaisyDay, qu'il avait trouvé sa direction professionnelle. Une activité a priori sans rapport avec la musique, quoique ceux qui ont eu la chance de visiter l'expo chabrettes du musée des ATP en 1999, se souviennent sans doute de la scénographie très inspirée qu'il y avait montée.

 
en janvier 1986

Malgré ses talents d'instrumentiste, il a peu enregistré et il ne nous reste pour l'entendre, sauf oubli de ma part que :

- la cassette des Noëls et Passions d'Olivier et Nathalie Daviau sur laquelle il chante (magnifiquement) un Noël

- le CD Ocara sur les Réveillez avec la Compagnie Chez Bousca,

- un duo avec Eric Montbel sur le premier disque de Lo Jaï (33t)

,

- une plage sur Chabrettaires à Ligoure

- et trois plages chantées sur le double vinyl du Chasse marée "Chants de mariniers gens de rivières et bateliers des fleuves de France", dont, surtout, le magnifique "Doban Bourdeou" sans doute un de mes dix morceaux préférés au sein de toute ma collection de disque.

(le vinyl original et la réédition CD)

Et pour ceux qui veulent remonter davantage dans le temps, le trio F. Giboulet, T. Boisvert et F. Lumen, apparait vers 1975-76 sur une plage du double 33 tours " Volem viure al país" (disque de soutien au mouvement de même nom), avec la chanson : "Bolega."

 

Il laisse par contre bien davantage d'écrits :

Sur la musique en premier lieu puisqu'il fut l'un des piliers des recherches sur les chabrettes dans les années 80 et de leur lien possible avec la religion. Une riche période où, afin de tenter d'en décrypter la symbolique et/ou l'origine chacun tentait de retrouver des analogies entre les différents boitiers de chabrette et tout objet d'aspect proche. Une passion qui ne l'avait pas complètement quitté puisqu'il m'avait encore envoyé, il y a un ou deux ans, à titre plutôt humoristique, et sans besoin du moindre commentaire, la photo d'une petite burette d'huile industrielle en tôle dont les nervures faisaient furieusement penser à certaines empeignes de chabrettes.

Vous pourrez lire ses écrits en particulier dans :

- "Chabrettes - Mon Dieu quelle histoire !" dans les actes du Symposium international sur la cornemuse La Haye1988

 

- "Il était une foi - Lettre à l'église" in "Souffler c'est jouer - Chabrettaires et cornemuses à miroirs en Limousin" cat Expo ATP -St Yrieix La Perche 1999 ed. Modal (c'est également Thierry qui avait mis en page ce catalogue)

 

- "Il est né le divin folklore" in BSHA du Périgord - Tomme CXXI - Année 1994 sur, notamment, l'arrivée de la vielle en Périgord

- Une petite page sur la chabrette dans les actes des 2èmes rencontres de musiques cultures populaires à St-Antonin Noble Val les 2-3-4 avril 1983 "Synthèse des interventions et débats sur la facture instrumentale -création d'instruments de musique traditionnelle.". coll. "cultures vivantes en Midi-Pyrénées"

 

- " Que sont vos kiosques devenus ?, Histoire des kiosques à musique en Dordogne & Lot et Garonne ", Association pour la Diffusion Musicale en Dordogne / Association pour la Diffusion Musicale en Lot et Garonne, 1990, 49 p. (ISBN :269502903-1-0)

 

- " Impressions de quadrilles, Elie Dupeyrat et l'édition musicale en ribéracois (1870-1930)" en collaboration avec Sylvain Roux. Archives départementales de la Dordogne et ADAM 24, 1987

 

- "Fin de siècle, le son de la ville", in catalogue de l'exposition Musée, Musiques - La vie musicale à Périgueux, partitions, instruments, ouvrages, tableaux, photographies... dans les collections périgourdines" 6 juillet - 30 octobre 2011, une exposition dont il faisait partie des commissaire et un catalogue à la mise en page signée Daisy Day

- Et sans doute quelques autres articles ici ou ailleurs

 

-Le numéro d'octobre-novembre-décembre 2011 (n°4 de 2011 donc) de la revue périgourdine bilingue Lo Bornat dont le sujet est la chabrette lui est dédié et reprend un certain nombre d'informations que nous lui devons http://bornat.ovh.org/

 

- Nous lui devons également une belle série de portraits noir et blanc de 5 cornemuseux, 2 vielleux et un mélodéon, tous de renom et de ses amis, accompagnés de son autoportrait, tirés en cartes postales à 150 exemplaires en 1988 sous le titre "Musiques d'en France".

 

- On peut le revoir et l'entendre interviewer Marcel Piaud en 1988 (ce qui est aussi émouvant pour la mémoire de l'un que de l'autre) sur une VHS produite par les Musiciens routiners Limousins (Françoise Etay) à cette même époque. Françoise a eu la bonne idée d'en mettre un extrait sur Youtube :

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Mais il a également publié des articles sur des sujets non musicaux dans un domaine plus régional sur lequel il s'était davantage focalisé depuis son quasi-retrait du monde des musiques traditionnelles :

- "Almanach satirique et illustré de la Dordogne", Autoédition 1994

- et, surtout, son remarquable ouvrage "Photographes en Dordogne - (1ère partie, 1850-1930)", dont malheureusement la seconde partie ne verra probablement jamais le jour. Son intérêt pour la chabrette l'avait conduit à réaliser une collection de cartes postales anciennes qu'il finit par céder au Musée de Montluçon, mais cette quête des cartes ancienne le conduisit rapidement à s'intéresser en précurseur aux simples photos (qui n'intéressaient alors pas du tout la plupart des collectionneurs), souvent bien plus spontannées que les clichés édités en cartes postales. Et de là à dresser les biographies des premiers photographes de Dordogne il n'y avait qu'un pas pour un passionné comme lui...
 

 


Mais par delà toutes ses activités, Thierry était avant tout un ami et un personnage très attachant qui manquera désormais terriblement à tous ses connaissances.Il nous avait promis de vaincre son cancer et faisait preuve d'un moral impressionnant face à la maladie.


Ses voeux 2010 avec lesquels ils nous annonçait sa maladie :

"25/01/10

Les jours précédant Noël m'ont apporté la curieuse nouvelle de la présence d'un intrus dans mon poumon…

Le 13 janvier dernier, une première chirurgie a extrait une partie de la chôze.

Dans les mois qui viennent, une "chimio" viendra atténuer le mal, avant de l'extraire définitivement courant mai !

Ce préambule vous permettra de mieux apprécier ma carte de vœux, jointe.

Sans faire mon malin, j'ai un moral d'enfer et vous embrasse…

Thierry"

 

Il avait bien cru la vaincre l'an passé et s'accomodait sans se plaindre de la part de capacité pulmonaire qu'elle avait emporté.

" 12/06/10

Et bonjour,

Tu dois sentir les bonnes nouvelles arriver…

J'ai eu, hier à Bordeaux, la confirmation de ce que mon corps d'athlète ne contenait plus de cellules cancéreuses : youpee, tralala !

Comme tu l'imagines, le moral est excellent (il n'a pas cessé de l'être pendant ces six mois de lutte pied-à-pied).

Dorénavant, la vie sera est un peu différente, avec un seul poumon.

Je dois encore attendre quelques semaines avant de re-souffler dans mes binious.

Moralité : la liberté de guérir ne s'use que si l'on cancer.

La bise.

Thierry"

Mais le mal l'a traitreusement réattaqué l'hiver dernier et s'il faisait toujours preuve d'un excellent moral et se souciait de la reprise de son activité professionnelle après cet épisode (il avait même envisagé de se consacrer à nouveau à la lutherie), il ne se cachait tout de même pas l'éventualité d'une fin plus précoce.

Il avait également accepté récemment quelques projets de collaboration à des publications sur la chabrette.

 

J'ai sans doute oublié dans ce court portrait, pas mal d'aspect des activités de Thierry (sa collection de cactus par exemple...), nous lui devons également la création, avec Claude Ribouillault, de la bourse d'échange de St-Chartier dont il m'avait offert sa succession. Ne supportant pas de voir des fautes d'orthographes dans les premiers numéros de Trad. Magazine, il en fut un temps le correcteur bénévole; Ceux qui avaient participé en tant que stagiares ou formateurs aux deux stages des Musiciens routiniers à Saint-Leon sur l'Isle dont il était l'organisateur gardent le souvenir de ses deux semaines hors du commun.

 


à St-Léon en 1985 avec Philippe Cheval et Félicie Verbrueggen
(cliquer sur la photo pour l'agrandir)

Et puis il n'est malheureusement pas possible de faire sentir à ceux qui ne l'auraient pas connus, la richesse et la générosité qui émanaient de lui.

 

Nos pensées vont naturellement à ses proches.

Jean-Luc

 

bouquet  au vase de cornemuse
Image réalisée par Thierry Boisvert à l'occasion du 300ème abonné aux infosmumuses

Voir l'article de Sud-Ouest paru ce matin : http://www.sudouest.fr/2011/07/02/thierry-boisvert-est-decede-442131-1950.php

l'avis à la page http://carnet.sudouest.fr/10426599

et une chronique de son ouvrage sur les photographes : http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=10&srid=55&ida=6399

Un hommage sur le site du CMRTL
http://www.crmtl.fr/spip.php?article121

l'hommage vidéo réalisé par André Ricros
http://lafeuilleamta.fr/2011/07/08/hommage-a-thierry-boisvert/

Lire également différents hommages dans le numéro 139 de Trad. Magazine (Eric Montbel, Maxou)

Sur le blog http://www.periblog.fr/2011/07/thierry-boisvert-lami-que-je-nai-jamais.html, l'hommage de celui qui a eu la malchance de ne le connaître que de vue et le texte complet de l'hommage très bien vu de Michel Grégoire pour les obsèque de Thierry...

Une empeigne de chabrette qui lui appartenait (clichés T. Boisvert)

 

 


St-Chartier 1987 avec Frédéric Pouget

 

 Ci-dessous un article qu'il m'avait demandé de publier dans mes infosmumuses en février puisque le comité de lecture de la revue Pastel lui avait refusé le droit de réponse à un article qui avait critiqué ses travaux. On retrouve bien dans ce texte tout l'esprit de Thierry, quelque peu "agacé" par les attaques dont il avait été l'objet, mais surtout par le fait que cette polémique opposait sa vision des recherches, avec sn côté aventureux, passionné et profondément humain à celle universitaire et officielle. Et tout cela ne l'empêchait pas de relativiser : " Je suis par ailleurs bien conscient que tout ceci n'est qu'une tempête dans un (bois)verre d'eau."

Le port de la cornemuse

est-il un signe risible de mauvaise foi ?

 

Quoique rangé des bourdons depuis plusieurs années, ma vigilance sur la chose cornemusicale reste intacte et j'avoue avoir été un peu " agacé " par le discours de Luc Charles-Dominique paru dans le précédent numéro de Pastel.

 

Il me fait beaucoup d'honneur en ne se référant essentiellement qu'à un seul écrit dans son article (j'y suis cité six fois) alors que d'autres auteurs auraient pu mieux éclairer son propos : je pourrais les lui lister. Il y use du procédé bien connu qui consiste à extraire des phrases de leur contexte (actes d'un colloque datant de quinze ans), à leur faire dire à peu près le contraire de leur sens général, en feignant d'ignorer les éléments précis sur le même sujet donnés plus récemment : je pourrais les lui faire parvenir aussi.

Dès l'introduction, LCD assène ce postulat douloureux : " …des conclusions interprétatives font de la cornemuse un instrument à la forte symbolique religieuse… ". On peut, en effet, gloser des heures sur un éventuel " symbolisme des instruments de musique " en général et de l'éventuelle " religiosité " des cornemuses en particulier. Cette problématique n'est, pour moi, qu'une auberge espagnole où chacun entasse les scories de sa propre histoire et il ne suffit pas de poser un principe pour le faire exister. Je rappelle ici que j'ai seulement disserté sur le décor des chabrettes : je maintiens que ces décors prennent leur source dans un vocabulaire graphique issu du catholicisme, et ne vois poindre, à ce jour, d'explication plus probante que celle énoncée. Je suis prêt à changer d'avis en cas de démonstration argumentée. Rien dans mes écrits ne prétend à une " interprétation symbolique de la cornemuse ". Sachant que l'Enfer et le Paradis sont les deux versants d'un seul et même discours, je ne tomberai pas dans le piège enfantin de " l'ostensoir contre la sorcière et le berger " proposé par LCD. Je pense qu'un article consacré au vent, fut-il celui des cornemuses, ne peut engendrer autre chose que du vent. La minceur des sources, les amalgames et les sophismes de supermarché de l'auteur confinent plus à l'arrangement intellectuel qu'au recul et à la mise en perspective nécessaires à la démonstration : on frise ici la sodomie de diptères.

 

Mais peut-être le fond de cet article se situe-t-il ailleurs ?

 

Où sont les musiciens, la musique, le cahot des relations humaines et tout ce qui fait que nous avons aimé collecter, fabriquer, jouer, étudier ou nous regarder pédaler avec enthousiasme et humour ? Pour titiller la supposée distance scientifique, j'ai toujours revendiqué des relations sensibles avec mes interlocuteurs ou mes centres d'intérêt (y compris universitaires) avec toute la subjectivité indispensable à cette introspection. Je n'ai pas été tenté par les prosélytismes ni versé dans ce que je sens pointer ici : l'établissement d'un dogme nouveau (un de plus), bien dans l'air de notre temps prêt à légiférer sur tout et n'importe quoi, pour éviter de se confronter directement au réel et au sensible qui, eux, réclament plus de générosité.

Faut-il être, aujourd'hui, à ce point en manque de documents originaux, de " terrain " ou de sujets de réflexion pour exhumer des bribes de nos joyeuses vieilleries et les élever au rang de sources documentaires ? Tant pis pour ceux qui se laissent aller à ces nouveaux marquages de territoire que personne ne leur contestera (ils n'existent pas) à la seule fin d'écrire une autre histoire -estampillée de leur imprimatur- comme on invente son petit folklore personnel ?

Je suis assez fier, je le confesse, de toujours refuser de boire le calice jusqu'à l'hallali et propose que nous priions ensemble Sainte Rita pour les objets ethnologiques perdus et Saint Bôle pour l'ensemble de son œuvre.

 

Thierry BOISVERT

 

 Et pour finir je ne résiste pas à vous présenter cette photo qu'il m'avait envoyée en 2006, glanée sur eBay, avec ce commentaire : " Je crois que de nouvelles théories (fraternelles de garagistes, confréries des huiliers, etc.) peuvent dorénavant se faire jour."

 


 

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